Ahold Delhaize passe d’une multitude de POC IA à quelques processus clés à fort impact. Que peuvent en apprendre les retailers belges pour bâtir un commerce intelligent ?

IA dans le retail : la stratégie d’impact d’Ahold Delhaize
Alors que la fin d’année 2025 est marquée par une nouvelle vague d’expérimentations autour de l’IA générative, un acteur majeur du retail alimentaire européen prend le contrepied du « test & learn à tout-va ». Ahold Delhaize, maison‑mère d’enseignes comme Delhaize en Belgique et Albert Heijn aux Pays-Bas, annonce vouloir se concentrer sur quelques grands processus métier à fort impact, plutôt que de multiplier les POC dispersés.
Cette décision est loin d’être anecdotique. Elle illustre une bascule clé dans la maturité de l’IA dans le retail belge : passer du gadget à la transformation structurelle – dans la gestion des stocks, la logistique, la lutte contre le gaspillage et la personnalisation client.
Dans le cadre de notre série « L’IA dans le Retail Belge : Commerce Intelligent », cet article décrypte ce virage stratégique, montre ce que signifie être un « smart follower » de l’IA et traduit ces enseignements en actions concrètes pour les retailers belges, qu’ils soient grands groupes ou chaînes régionales.
1. De la foire aux POC à la stratégie IA orientée impact
Pendant plusieurs années, Ahold Delhaize a, comme beaucoup d’enseignes, multiplié les projets pilotes d’intelligence artificielle :
- systèmes de prévision pour réduire la casse et le gaspillage alimentaire,
- algorithmes d’optimisation logistique pour réduire les kilomètres parcourus, notamment pour la livraison e‑commerce,
- initiatives de personnalisation d’offres dans les applications et programmes de fidélité.
Un des exemples souvent cités est la réduction d’environ 6 % des kilomètres parcourus pour les livraisons de la plateforme e‑commerce du groupe, grâce à de meilleurs algorithmes de tournées. Pour un distributeur de cette taille, c’est une économie colossale en carburant, CO₂ et heures de travail.
Mais cette multitude de projets pose vite un problème :
- difficultés à industrialiser les POC,
- équipes data dispersées sur trop de sujets,
- ROI incertain,
- fatigue du terrain face Ă des tests qui changent sans cesse.
Ahold Delhaize a donc décidé de réduire la dispersion et de renforcer la focalisation sur quelques processus majeurs, communs à toutes ses enseignes. C’est exactement la transition que beaucoup de retailers belges s’apprêtent à vivre en 2026.
L’ère des « petits projets IA partout » laisse la place à l’ère des plateformes IA structurantes et des cas d’usage prioritaires.
2. Être un « smart follower » de l’IA : un choix stratégique
Le CEO du groupe, Frans Muller, décrit Ahold Delhaize comme un « smart follower » en matière d’IA. Ce positionnement mérite d’être expliqué, car il peut inspirer de nombreuses enseignes belges.
2.1. Qu’est‑ce qu’un « smart follower » ?
Être un smart follower, ce n’est pas être en retard. C’est choisir de :
- observer finement ce qui fonctionne ailleurs,
- éviter les paris technologiques trop risqués,
- investir quand les technologies et les cas d’usage sont mûrs et scalables,
- capitaliser sur des solutions déjà éprouvées pour les adapter à son propre contexte.
Concrètement, cela signifie :
- ne pas forcément être le premier à lancer un magasin 100 % automatique,
- mais être très bon pour généraliser rapidement des projets dont la valeur est prouvée (par exemple dans la prévision de la demande ou l’optimisation des tournées),
- développer une gouvernance IA solide, plutôt que des effets d’annonce.
2.2. Pourquoi ce modèle convient particulièrement au retail belge
Le marché belge se caractérise par :
- une forte pression sur les marges,
- une grande sensibilité au prix et aux promotions,
- un maillage dense de magasins physiques, souvent avec des franchisés,
- des contraintes sociales et réglementaires fortes.
Dans ce contexte, le modèle du « smart follower » est pertinent pour beaucoup d’acteurs :
- Il limite les investissements spéculatifs.
- Il permet de se concentrer sur des projets IA directement liés au P&L (marge, chiffre d’affaires, productivité).
- Il est plus facile Ă faire accepter en interne : on parle de gains concrets, pas de science-fiction.
3. Où l’IA crée vraiment de la valeur : 4 grands processus clés
Le recentrage d’Ahold Delhaize sur « quelques grands processus métier » offre une bonne grille de lecture pour les détaillants belges qui veulent structurer leur feuille de route IA.
3.1. Prévision de la demande et gestion des stocks
C’est le terrain de jeu naturel de l’IA dans la distribution alimentaire :
- affiner les prévisions par magasin, jour, créneau horaire,
- intégrer météo, événements locaux, saisonnalité, calendriers scolaires,
- mieux ajuster les commandes automatiques,
- réduire simultanément les ruptures et le surstock.
Pour un supermarché type en Belgique, même une baisse de 1 à 2 points de casse sur les produits frais peut représenter des dizaines de milliers d’euros par an. À l’échelle d’un réseau, l’impact est majeur.
Actions possibles pour un retailer belge :
- Prioriser un projet IA sur 1 à 2 catégories à forte casse (fruits & légumes, boulangerie, boucherie).
- Impliquer les chefs de rayon dans la configuration des algorithmes pour garder la confiance du terrain.
- Mesurer très concrètement les gains : casse, disponibilité en rayon, satisfaction client.
3.2. Logistique, tournées de livraison et dernier kilomètre
Ahold Delhaize a déjà montré, avec sa filiale e‑commerce, qu’un algorithme de planification intelligente des tournées peut réduire les kilomètres parcourus d’environ 6 %. Pour les distributeurs :
- moins de kilomètres = moins de carburant, moins d’usure des véhicules, moins d’émissions,
- meilleure ponctualité des livraisons, donc meilleure satisfaction client,
- possibilité d’absorber plus de volume sans recruter immédiatement.
En Belgique, où la congestion routière est un enjeu quotidien et les coûts logistiques en hausse, la logistique augmentée par l’IA est un gisement de compétitivité encore largement sous‑exploité.
Pistes d’action :
- utiliser l’IA pour optimiser la préparation de commandes (picking) en magasin ou en entrepôt,
- combiner IA et données temps réel (trafic, météo) pour recalculer les tournées,
- simuler différents scénarios de maillage d’entrepôts ou de drives.
3.3. Personnalisation client et retail média
Avec des programmes de fidélité riches en données (cartes, applis, e‑commerce), les retailers belges ont en main une mine d’or pour :
- proposer des promotions personnalisées pertinentes,
- améliorer les recommandations produits dans les applications et sur le web,
- optimiser le pricing dynamique sur certains canaux,
- monétiser leurs audiences via le retail média.
L’enjeu n’est pas seulement technologique, mais aussi éthique et réglementaire (RGPD, consentement, transparence). Les grands groupes comme Ahold Delhaize ont déjà posé des cadres de gouvernance IA qui pourront inspirer les acteurs plus petits.
Conseils pratiques :
- commencer par quelques segments de clientèle clairs (familles, étudiants, seniors),
- tester des mécaniques simples (offres personnalisées sur 10–20 produits à forte rotation),
- suivre de près l’impact sur le panier moyen, la fréquence de visite et la satisfaction.
3.4. Lutte contre le gaspillage et durabilité
L’IA est un allié puissant pour une stratégie durable et responsable :
- meilleure prévision des ventes pour éviter les surstocks,
- ajustement dynamique des dates limites de consommation et des remises anti‑gaspillage,
- optimisation de la donation et du ré‑emploi des invendus (banques alimentaires, solutions anti‑gaspillage),
- réduction des emballages superflus en analysant les flux et les retours.
Dans un pays comme la Belgique, où les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux engagements RSE, ces sujets sont à la fois un levier de coûts et un élément de différenciation marketing.
4. Comment passer, en pratique, à une IA de « commerce intelligent »
S’inspirer d’Ahold Delhaize ne signifie pas copier sa taille, mais plutôt sa méthodologie. Voici une feuille de route synthétique pour un retailer belge qui veut professionnaliser son approche IA.
4.1. Clarifier les priorités business avant la technologie
Avant de parler de modèles, de data lake ou de cloud, il faut répondre à une question simple :
« Sur quoi l’IA peut‑elle générer le plus de valeur dans les 18 prochains mois ? »
Les priorités typiques dans le retail alimentaire belge :
- Réduire la casse et améliorer la disponibilité en rayon.
- Optimiser les coûts logistiques et du dernier kilomètre.
- Augmenter la pertinence des promotions et la fidélité client.
Choisissez 2 ou 3 axes maximum pour éviter la dispersion.
4.2. Structurer la gouvernance IA
Le passage du POC au déploiement exige une gouvernance claire :
- un sponsor exécutif (direction générale, direction des opérations),
- une équipe data/IA avec des rôles identifiés (data engineers, data scientists, product owners),
- des référents métier dans les opérations, la supply chain, le marketing,
- un cadre de gouvernance des données (qualité, sécurité, RGPD, éthique IA).
Sans cela, chaque projet reste un « bricolage local » difficilement généralisable.
4.3. Industrialiser plutôt que réinventer
Un smart follower :
- privilégie des solutions déjà existantes (chez des éditeurs, partenaires technologiques ou via des modules IA intégrés dans les ERP/WMS/POS),
- investit dans l’intégration et l’appropriation plutôt que dans le développement from scratch,
- pense dès le départ à la scalabilité : comment passer de 5 magasins pilotes à 200 ?
Pour beaucoup d’enseignes belges, la clé n’est pas de créer le modèle le plus sophistiqué, mais de s’assurer que :
- les données remontent de façon fiable,
- les équipes magasin comprennent ce qui change et pourquoi,
- les indicateurs d’impact sont suivis dans la durée.
4.4. Embarquer le terrain et les franchisés
L’IA ne réussira pas sans les équipes en magasin et, en Belgique, sans les franchisés.
Bonnes pratiques :
- associer des directeurs de magasin et des franchisés à la co‑conception des outils,
- expliquer simplement ce que fait l’algorithme (et ce qu’il ne fait pas),
- montrer des gains visibles : moins de casse, moins de manutention inutile, meilleure disponibilité,
- prévoir des formations courtes et concrètes, intégrées au quotidien opérationnel.
5. Ce que les retailers belges doivent retenir d’Ahold Delhaize
L’exemple d’Ahold Delhaize montre qu’une stratégie IA gagnante dans le retail ne repose pas sur la quantité de POC, mais sur :
- une vision claire : se concentrer sur quelques grands processus Ă fort impact,
- un positionnement lucide : être un smart follower, pas forcément un pionnier coûteux,
- une exécution disciplinée : moins de dispersion, plus d’industrialisation.
Pour le marché belge, cela ouvre une voie réaliste :
- même sans les moyens d’un géant international, il est possible de bâtir un commerce intelligent,
- à condition de relier l’IA très directement à la performance économique (marge, productivité, panier moyen) et à la satisfaction client.
Dans la suite de notre série « L’IA dans le Retail Belge : Commerce Intelligent », nous approfondirons ces chantiers prioritaires – du pricing dynamique à la gestion fine des stocks en passant par la personnalisation omnicanale – avec des exemples adaptés au contexte belge.
En attendant, une question Ă se poser avant 2026 :
« Si nous devions choisir seulement trois processus métier où l’IA doit absolument faire la différence dans les 18 prochains mois, lesquels seraient‑ils ? »
Votre réponse à cette question sera le vrai point de départ de votre stratégie d’IA dans le retail.